Léa Bravi est ingénieure de recherche au sein de l’unité ICE (Interactions Cellules Environnement) de VetAgro Sup. Elle travaille actuellement sur un projet financé par France Relance[1] (LipoCryo), en partenariat avec le GIE US ROM (Groupement d’Intérêt Economique – Unité de Sélection des Races Ovines des Massifs), qui vise à optimiser la cryoconservation de la semence de béliers via l’utilisation de liposomes (vésicule artificielle). Dans la filière ovine, contrairement aux filières bovine ou caprine, l’insémination animale (IA) en semence congelée est en effet très peu utilisée à ce jour. La congélation des semences pourrait engendrer des dommages importants au niveau de la structure des spermatozoïdes, diminuant ainsi fortement leur pouvoir fécondant. Léa travaille ainsi en laboratoire mais aussi sur le terrain afin d’améliorer ces techniques. Découvrez son parcours et ses recherches plus en détail.
Pourriez-vous vous présenter, quel est votre parcours ?
Je m’appelle Léa Bravi, je suis ingénieure en recherche et développement au sein de l’équipe ICE à l’école vétérinaire VetAgro Sup de Marcy l’Etoile, depuis janvier 2022.
Pendant 5 ans, j’ai suivi une formation d’ingénieur agronome à l’ISARA Lyon et ai été diplômée en septembre 2021. Durant ce cursus, j’ai eu l’opportunité de réaliser différents stages qui n’ont fait qu’accroître ma volonté de vouloir travailler dans le domaine de la reproduction animale.
Mon premier stage s’est déroulé au sein de VetAgro Sup, en reproduction équine. Pendant ces trois mois, j’ai travaillé sur trois projets de thèses vétérinaires. Le premier concernait l’évolution de la progestérone chez les juments gestantes en fonction des conditions climatiques, le deuxième portait sur l’étude de l’AMH (Hormone Anti-Müllérienne) chez la fertilité de l’étalon en lien avec l’âge et le dernier traitait de la lyophilisation du colostrum de jument. Aussi appelé 1er lait, le colostrum est une sécrétion lactée produite par la mère quelques heures avant la mise bas et les premières heures suivant la naissance du poulain.
Le second stage, pendant lequel je devais rédiger mon mémoire de fin d’études, s’est également déroulé au sein de VetAgro Sup. Pendant six mois, j’ai passé la moitié de mon temps à la station de monte de l’école et l’autre moitié au laboratoire de biochimie où j’ai réalisé des analyses sur des prélèvements sanguins et spermatiques, afin d’évaluer le lien entre les concentrations des hormones sexuelles chez la fertilité de l’étalon. Pour ce faire, j’étais responsable du recrutement d’une cinquantaine d’étalons dans différents haras de France.
Ce projet consistait à étudier la corrélation entre la fertilité des étalons et les différentes concentrations d’hormones sexuelles produites par le testicule, notamment l’AMH, l’inhibine B, la testostérone et l’œstradiol. J’ai donc demandé aux éleveurs ayant accepté d’intégrer leurs étalons à cette étude clinique, de m’envoyer de la semence et du sang sur trois périodes de la saison de monte. Sachant que, chez le cheval, la saison de monte débute en février et se termine vers le mois de septembre, les mois durant lesquels les éleveurs devaient m’envoyer les échantillons étaient : mars, mai-juin et fin août (figure 1).
Cette expérience m’a permis d’être formée à la collecte de sperme chez l’étalon, à l’évaluation de la semence (mesure de la concentration, réalisation de spermogrammes, détermination de la motilité des spermatozoïdes…) et à l’analyse des échantillons biologiques via l’utilisation de divers appareils afin de mesurer les taux d’hormones présents dans la semence ou le sang.
Sur quoi porte vos travaux exactement ?
Le projet sur lequel je travaille actuellement, intitulé « LipoCryo – Utilisation de liposomes pour améliorer la cryoconservation des spermatozoïdes ovins », vise à optimiser la cryoconservation (congélation de la semence diluée dans de l’azote liquide) de la semence de béliers via l’utilisation de liposomes. C’est un projet financé par le Plan France Relance (LipoCryo), en partenariat avec le GIE US ROM (Groupement d’Intérêt Economique – Unité de Sélection des Races Ovines des Massifs), spécialisé dans la reproduction ovine.
Dans la filière ovine, contrairement aux filières bovine ou caprine, l’insémination animale (IA) en semence congelée est très peu utilisée à ce jour. En France, cela représente moins de 1% des 800 000 inséminations artificielles réalisées annuellement. Ceci s’explique par le fait que les résultats de fertilité après inséminations intra-cervicales en semence congelée sont très faibles (10 à 20% selon INRAE), car les taux de motilité (capacité de se déplacer) des spermatozoïdes après décongélation sont bas et que le cathéter d’insémination ne passe pas le col de l’utérus qui est trop fermé. Il existe cependant une autre technique d’IA appelée insémination intra-utérine, qui s’effectue par laparoscopie. Cette dernière consiste à déposer la semence directement dans les cornes utérines, diminuant ainsi le trajet des spermatozoïdes jusqu’aux ovaires et augmentant les chances d’aboutir à une gestation. En revanche, même si les taux de fertilité sont significativement plus élevés qu’avec une IA intra-cervicale (50-70%), il s’agit d’une méthode invasive (elle nécessite une chirurgie légère), qui ne peut pas mise en œuvre sur de grands cheptels.
Enfin, la conservation à 4°C ou 15°C de la semence fraîche ne peut être raisonnablement envisagée au-delà des 10 heures suivant la collecte, ce qui engendre des contraintes logistiques lourdes et des pertes financières lorsque les demandes à l’export ne peuvent être honorées.
La congélation de la semence présente donc de nombreux avantages, notamment :
- Diffuser du progrès génétique (exporter la semence)
- Conserver un patrimoine génétique de haute valeur
- Conserver des races à petits effectifs
- Limiter la transmission des maladies vénériennes
- Simplifier la gestion des chaleurs des brebis
- Autoriser un accès facilité aux échantillons
C’est en partie pour ces raisons que nous pensons qu’il est important de trouver une solution pour améliorer la congélation de la semence de bélier.
Plusieurs articles ont démontré que la membrane plasmatique des cellules spermatiques de bélier a une composition lipidique différente du taureau (Salmon, 2016 ; Luna Orzoco, 2019), qui lui est un bon candidat à la congélation. Ainsi, une des principales hypothèses qui expliquerait la diminution importante du pouvoir fécondant des spermatozoïdes lors de la décongélation est la suivante : lors des phénomènes de congélation/décongélation, le cold shock impacterait la fluidité de la membrane plasmique et induirait une désorganisation de la bicouche phospholipidique (Amann, 1987 ; He, 2001 ; Khalil, 2018). Ces modifications structurelles pourraient affecter la perméabilité de la membrane du spermatozoïde, ce qui endommagerait de manière irréversible l’intégrité cellulaire. En d’autres termes, la congélation pourrait engendrer des dommages importants au niveau de la structure des spermatozoïdes, diminuant ainsi fortement leur pouvoir fécondant.
A ce jour, la méthode choisie pour préserver l’intégrité cellulaire repose sur l’utilisation de jaune d’œuf dans les dilueurs de congélation, comme chez de nombreuses espèces (Phillips 1939). Si les propriétés cryoprotectrices du jaune d’œuf sont reconnues, il demeure toutefois une source potentielle de contaminations microbiennes et sa composition reste variable (alimentation de la poule, conditions d’élevage, prophylaxie…).
Pour toutes ces raisons, nous avons choisi d’intégrer des liposomes dans les dilueurs de congélation de la semence ovine. En effet, remplacer le jaune d’œuf par des liposomes, vésicules artificielles formées d’une ou plusieurs bicouches de phospholipides (figure 2), a déjà constitué une stratégie efficace chez d’autres espèces comme chez l’étalon (Pillet, 2012), le taureau (Röpke, 2011), le buffle (Kumar, 2015), ou l’homme (Mutalik, 2014).
Dans notre étude, les liposomes seront utilisés comme vecteurs de molécules, mais aussi comme modèles de compréhension des interactions cryoprotectrices. Les liposomes ont l’atout primordial pour ce projet de pouvoir être chimiquement définis, calibrés et standardisés. La composition des liposomes sera finement modulée afin d’apporter aux spermatozoïdes de bélier une protection supérieure à celle apportée par le jaune d’œuf.
Que faites-vous exactement ?
Au démarrage du projet en janvier 2022, j’ai fait beaucoup de bibliographie pour, dans un premier temps, m’imprégner du sujet, et dans un second, approfondir mes connaissances afin de préparer au mieux les expériences à venir. Je continue bien entendu à faire de la bibliographie, mais commence également à aller sur le terrain et à réaliser des analyses en laboratoire.
Pour la partie terrain, je me déplace à Mazeyrat d’Allier (43), où se situe le GIE US ROM. C’est là-bas que se trouvent les béliers. Nous réalisons ainsi les collectes et les premières analyses de semence sur place. Les premières analyses comprennent l’évaluation de la motilité, la mesure du volume et de la concentration de l’éjaculat, la réalisation de spermogrammes (coloration des spermatozoïdes permettant d’énumérer les différentes anomalies morphologiques des spermatozoïdes) et la dilution de la semence.
Pour la partie laboratoire, nous ramenons la semence de Mazeyrat et la congelons dans de l’azote liquide (-196 °C). Lors de la décongélation, nous réalisons des analyses sur le CASA Sperm Class Analyzer® (logiciel permettant de déterminer avec précision les différentes caractéristiques relatives à la motilité des spermatozoïdes) et sur le cytomètre en flux Amnis Flowsight®. Ce dernier permet, selon les marquages utilisés, de déterminer les taux de viabilité des spermatozoïdes, d’évaluer l’intégrité membranaire ou encore de mesurer l’activité mitochondriale.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce sujet ?
Cavalière depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours su que je voulais exercer un métier en relation avec les animaux. Attirée par la biologie animale, cela fait plusieurs années que je souhaite travailler dans le milieu de la reproduction. C’est d’ailleurs pour cela que tous mes stages ont été axés en ce sens.
Ce qui me plaît dans ce sujet c’est le fait de pouvoir allier le travail en laboratoire avec le contact direct des animaux. Cela a toujours fait partie de mes critères : pouvoir être sur le terrain. J’apprécie particulièrement le fait d’analyser en laboratoire des échantillons biologiques que j’ai moi-même prélevés.
Quelles suites à vos travaux ?
J’aimerais dans un premier temps que ce projet puisse aboutir sur une thèse Cifre. En effet, le sujet de mon mémoire de fin d’études m’a permis de comprendre que je souhaitais continuer dans le milieu de la recherche.
De plus, avoir des années supplémentaires sur un sujet tel que celui-ci n’est pas négligeable ! Cela nous permettrait d’optimiser au mieux la composition du dilueur de congélation, de tester l’efficacité de ce dernier en fécondation in vitro (FIV) et de réaliser par la suite des IA in vivo. Si cela fonctionne, cela faciliterait également le quotidien des éleveurs, chose à laquelle je suis particulièrement sensible étant donnée la formation que j’ai suivie durant cinq années.
Enfin, en septembre 2023 je passerai la formation de chef de centre pilotée par l’IFCE (Institut Français du Cheval et de l’Equitation) et coorganisée par VetAgro Sup. Cette dernière offre la possibilité de travailler dans un centre de reproduction équine. Ainsi, après ma thèse, j’aimerais travailler dans un haras, tout en continuant à évoluer dans le monde de la recherche appliquée.
[1] Dans le cadre du plan « France Relance » lancé le 3 septembre 2020, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) porte une mesure destinée à aider à la préservation des capacités humaines de Recherche et Développement (R&D) des entreprises, et à mettre à disposition des entreprises de jeunes diplômés et docteurs. Les structures de recherche sont le point d’entrée des entreprises et signent une convention bénéficiaire avec l’ANR, opérateur de financement de la mesure. https://anr.fr/fr/plan-de-relance/