Face aux différentes crises (écologique, climatique, sanitaire, sociale…) auxquelles l’élevage est confronté, les concepts d’approche globale de la santé se développent (One Health, Eco Health, Global Health…) et sont identifiés comme des clés d’analyses pertinentes pour répondre à ces évolutions. Cependant, ces concepts n’ont actuellement pas encore été appliqués à l’échelle des fermes ; une méthodologie d’évaluation et des références doivent donc être apportées. Entre 2020 et 2023, Audrey Michaud, enseignante-chercheuse et Maéva Cremilleux doctorante à VetAgro Sup ont ainsi travaillé sur une approche globale de la santé des fermes laitières en agroécologie. Ce projet a impliqué de nombreux partenaires scientifiques (INRAE, Université de Padoue en Italie, ferme expérimentale), techniques (conservatoire botanique national de Massif central) ainsi qu’une vingtaine d’éleveurs à travers la mise en place d’une démarche participative. Ce projet a été permis par un financement de l’Agence de la transition écologique (ADEME), de l’ISITE CAP 20-25, du réseau régional thématique de recherche pour la santé et le bien-être animal (SAARA), de la Fédération des Recherches en Environnement (FRE) et de VetAgro Sup.
Si l’élevage traverse de nombreuses crises (écologique, sanitaire, économique, sociétale), il est au cœur de plusieurs défis dont le défi de santé. En effet, la santé des plantes, des sols et des animaux et indirectement la santé des humains (à travers la qualité des produits, les risques de zoonoses ou encore les questions de résistance aux antibiotiques) sont intimement liées à l’élevage et aux modes de productions agricoles. Du fait de ces interdépendances entre santé humaine, santé des écosystèmes, santé animale et agriculture, la mise en place d’une approche globale de santé à l’échelle de la ferme est nécessaire pour mieux comprendre les liens entre ces éléments de santé et identifier des leviers d’action. Cette approche est actuellement peu développée dans la littérature et n’intègre pas les connaissances des agriculteurs, pourtant nécessaires pour favoriser la mise en place de ces approches sur le terrain. Un collectif de chercheurs, enseignants-chercheurs et agriculteurs se revendiquant en agroécologie a travaillé sur l’identification et la quantification d’un cadre d’analyse de la santé globale des fermes en agroécologie. Les systèmes en agroécologie ont été ciblés car ce sont des systèmes qui utilisent les processus écologiques pour les mettre au service des agrosystèmes. Ils sont donc plus vertueux en utilisant moins d’intrants pour la production (antibiotiques, engrais…) et en s’appuyant sur les potentialités du territoire. En ce sens, ils contribuent à répondre aux crises actuelles et particulièrement au défi de santé.
Plusieurs cadres d’analyse de la santé globale d’une ferme ont tout d’abord été construits de manière à mieux comprendre ce qu’est la santé globale d’une ferme, en théorie mais surtout pour les éleveurs. Ces différents cadres s’appuient sur des références bibliographiques et la réalisation d’enquêtes sociologiques auprès d’une vingtaine d’éleveurs laitiers du Massif central impliqués dans le projet.
Ces recherches ont permis de décliner ces cadres en sous éléments : la santé de l’éleveur, du troupeau, des prairies et du sol (figure) et les enquêtes ont permis d’identifier 3 types de cadre concrets selon la vision des éleveurs :
- Ceux pour qui la santé de la ferme correspond avant tout à la santé animale
- Ceux pour qui la santé économique et la santé de l’éleveur définissent la santé de la ferme
- Ceux pour qui la santé de la ferme est un cercle vertueux entre la prairie, le troupeau et l’éleveur
Dans un second temps, le cadre théorique de la santé globale d’une ferme a été quantifié en s’appuyant sur les métriques académiques déployées sur le terrain et les métriques des éleveurs. Pour cela, les fermes ont été suivies durant 3 ans, permettant de compléter les éléments de la santé globale, à savoir la santé de l’éleveur (enquêtes sociologiques et psychologiques), des troupeaux (suivis plusieurs fois par an), des prairies et du sol (suivi annuel). Ce travail a mis en évidence la possibilité de quantifier la santé globale d’une ferme. Dans le cas des fermes suivies, c’est-à-dire des fermes se revendiquant en agroécologie, les fermes suivies ont été estimées en bon état de santé. De plus, la comparaison des métriques académiques et celles utilisées par les éleveurs (qui diffèrent souvent des métriques académiques) conduit généralement au même résultat. Les cadres académiques et des éleveurs partagent des définitions et indicateurs similaires, les éleveurs utilisent également d’autres indicateurs spécifiques, plus visuels.
Ce travail a donc permis d’identifier un cadre d’analyse de la santé globale d’une ferme. La quantification d’un tel cadre (en utilisant des métriques académiques ou du terrain) est également possible et a été illustrée par des systèmes se revendiquant de l’agroécologie. Cela a par ailleurs mis en évidence l’intérêt de déployer ces systèmes agricoles sur le terrain car ils conduisent à un bon état de santé des fermes. Plus globalement, ces recherches ont révélé la nécessité de considérer la cohérence du système (adéquation entre les objectifs, les pratiques mises en place et les résultats observés) qui favorise la santé et donc de raisonner à l’échelle globale.