L’objectif de l’étude pré-PATHOZOON était de décrire la présence d’agents potentiellement zoonotiques, c’est-à-dire d’agents infectieux qui se transmettent des animaux vertébrés à l’homme, et vice versa, parmi des populations de campagnol terrestre (Arvicola terrestris), par différents outils de biologie moléculaire, de sensibilité et de spécificité complémentaires : une première méthodologique sur ce type de rongeurs, avec des résultats rassurants, dans la limite de l’environnement expérimental.
Parmi les rongeurs, plusieurs espèces de campagnols y compris le campagnol terrestre (Arvicola terrestris) en France, présentent des cycles de pullulation pluriannuels caractérisés par une croissance importante de la population suivie d’un déclin rapide. Les populations de l’ordre des rongeurs sont également connues pour être fréquemment infectées par des agents zoonotiques. Ces deux caractéristiques, combinées à celle de coloniser l’habitat de ruminants domestiques en contact étroit avec l’humain, font de A. terrestris, une source potentielle d’agents pathogènes pour les populations animales et humaines. Dans le cadre du projet pré-PATHOZOON, porté par le Réseau thématique de recherche pour la santé et le bien-être animal en région Auvergne Rhône Alpes (SAARA), l’application de différentes techniques de biologie moléculaire dont le séquençage massif à partir d’échantillons issus de plusieurs populations d’A. terrestris en Auvergne a mis en évidence la présence de virus et bactéries zoonotiques.
Un nombre limité d’études s’attache à préciser le rôle du campagnol terrestre dans le cycle épidémiologique de zoonoses. En France, deux études menées sur cette espèce en Franche-Comté ont décrit l’infection par des bactéries zoonotiques dont Leptospira spp. Cependant, il subsiste des questions relatives à la présence d’autres agents pathogènes, notamment viraux, à leur diversité selon les régions et écosystèmes et aux outils de biologie moléculaire nécessaires pour leur étude.
Trois prairies utilisées pour l’élevage de ruminants, de caractéristiques écosystémiques similaires (région du Parc Naturel des Volcans d’Auvergne, absence de haie, de forêt et de milieu humide) et colonisées par les campagnols terrestres, ont constitué les sites d’étude. La session de capture a inclus 46 campagnols terrestres qui ont fait l’objet de prélèvements d’organes, d’urine et de sang dans de strictes conditions d’asepsie et directement stockés à -20 °C. L’ADN et l’ARN ont été extraits de ces échantillons d’organes pour être analysés.
Des PCR spécifiques de Leptospira groupe pathogène, de Coxiella burnetii, pan coronavirus et SARS-CoV-2 ont été réalisées. Par ailleurs, un séquençage aléatoire du transcriptome entier (RNA-seq) des prélèvements a été également effectué. Les analyses de type PCR sont assez sensibles mais spécifiques de chaque pathogène. Le séquençage massif permet de voir assez largement ce qui circule, sans a priori, mais la technique ne permet par contre pas de détecter une présence de faible niveau. Les deux types de techniques sont donc complémentaires et constituent la force de l’étude, qui se révèle plus complète que ce qui avait pu être fait auparavant.
Une prévalence élevée d’infection par Leptospira
36 individus avaient au moins un organe testé positif par PCR spécifique des Leptospira pathogènes. Pour rappel, la leptospirose est souvent bénigne mais peut conduite à l’insuffisance rénale voire à la mort dans 5 à 20% des cas chez l’humain. Les proportions de campagnols infectés variaient de 57 % à 94% selon les sites. La prévalence observée est élevée en comparaison à ce qui est décrit pour les autres espèces de rongeurs. Par exemple, le rat surmulot (Rattus norvegicus) hôte emblématique de Leptospira, est régulièrement associé à une prévalence approximative de 25%. Cette prévalence élevée dans notre cas peut être liée à une situation épidémiologique particulière ou à la méthodologie de prélèvement rapide, réduisant les contaminations post-mortem et par conséquent, favorisant la détection des ADN de leptospires par PCR.
Absence de détection de Coxiella burnetii et de Coronavirus
Malgré les conditions favorables à la détection d’agents microbiologiques par PCR, aucun individu n’était associé à la détection de Coxiella burnetii (l’agent de la fièvre Q chez les ruminants et les humains) et de Coronavirus. Bien que l’infection par C. burnetii ait été décrite pour d’autres espèces de campagnols (Myodes glareolus) en France, elle ne l’a jamais été pour les campagnols terrestres. Les Coronavirus sont largement répandus parmi les vertébrés et les rongeurs. Contrairement à ce qui était attendu, aucun Coronavirus des campagnols terrestres n’a été détecté parmi les échantillons.
Le séquençage massif a caractérisé quelques virus zoonotiques
Le séquençage massif a mis en évidence sept familles virales différentes dont un virus faiblement zoonotique, Tula-orthohantavirus, détecté pour trois individus issus des trois sites d’échantillonnage. Cette distribution suggère une circulation virale à bas bruit et uniformément répartie dans les trois sites. Un hépacivirus, c’est-à-dire un virus du même genre que celui associé à l’hépatite C chez l’humain, a été détecté parmi quatre individus sur 1 seul des sites. Ce résultat contribue à la description de virus du genre hépacivirus détectés, ces dernières années, parmi différentes espèces animales incluant le chien, le cheval, la vache et d’autres rongeurs. L’analyse approfondie des séquences permettra d’étudier le lien entre le génome de ce virus caractérisé en France et ceux préalablement décrits pour d’autres espèces, en particulier, murines.
En conclusion, les outils de séquençage sans a priori et de détection ciblée ont mis en évidence l’infection des campagnols par des bactéries zoonotiques du genre Leptospira et un virus faiblement zoonotique, Tula-orthohantavirus. Nos résultats indiquent que la diversité des agents zoonotiques est limitée dans ces trois populations de campagnols terrestres cependant la proportion d’individus infectés par Leptospira est particulièrement élevée et souligne leur contribution potentiellement importante pour assurer la persistance de ces bactéries dans l’écosystème prairial. Les études nécessitent d’être étendues à d’autres zones toutefois.
Par ailleurs, afin de préciser le rôle des campagnols terrestres dans l’épidémiologie de ces infections, il sera nécessaire d’étudier plus largement la distribution spatio-temporelle de ces agents parmi ces populations de campagnols et d’autres hôtes partageant le même habitat. De nombreux agents pathogènes zoonotiques sont multi-hôtes et peuvent infecter au-delà de deux espèces animales incluant des espèces sauvages et/ou domestiques et l’humain. Ainsi, chacune des populations concernées peut avoir une contribution relative dans la persistance de ces agents et cette connaissance est nécessaire pour orienter le choix de mesures de réduction du risque zoonotique.
Contacts : Florence Ayral (Maître de conférences) et Elena Harran (Doctorante), USC RS2GP
Les unités impliquées dans le projet pré-PATHOZOON :
- VetAgro Sup : UR Rongeurs Sauvages, Risques Sanitaires et gestions des Populations (Florence Ayral, Elena Harran, Virginie Lattard)
- INRAE : UMR 0346 EPIA (Xavier Bailly, Elsa Jourdain, Julien Thézé)
- Anses : Unités Génétique virale et biosécurité et Unité Lyssavirus et virologie de la faune sauvage (Yannick Blanchard et Elodie Monchatre-Leroy respectivement)
Avec les contributions de Adrien Pinot, Marine Le Gudayer, Daouda Sionfoungo Soro, Karine Groud de VetAgro Sup, RS2GP ; Séverine Barry de l’INRAE, EPIA ; Evelyne Picard-Meyer de l’Anses